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INTRODUCTION
L'engouement pour la graphologie a suscité, un essor en progression constante au cours des vingt dernières années, spécialement en ce qui concerne l'aide à la sélection professionnelle. Cet essor comporte aussi des risques.
Peut-être certains ont-ils pensé qu'il s'agissait d'une technique facile a apprendre, ce qui a entraîné le développement de la demande de formation
graphologique *. Peut-être aussi certains utilisateurs se sont-ils reposés, pour ne pas dire retranchés derrière les avis donnés pour ne plus exercer suffisamment leur propres techniques d'évaluation et se justifier d'un refus d'embauche derrière la phrase : " votre étude graphologique n'est pas favorable ", sans se donner toujours le mal d'un effort d'élucidation de part et d'autre. Suscitant ainsi défiance et frustration, avec l'envie de la rejeter en bloc, sans bien faire la part des apports et des nuances.
Or dans la pratique quotidienne que nous avons été amenée à effectuer, aussi bien auprès des responsables d'entreprise ou des relations humaines, qu'auprès de cabinets de recrutement, nous avons eu beaucoup d' entretiens en corrélation, pris les contrôles de références données par les candidats, et enfin discuté les points importants avec les recruteurs eux-mêmes, après leur propre démarche, sur le fond et sur la mutuelle compréhension des termes employés . Cette validation par des recoupements entre les approches diverses a permis d'affiner non seulement les points de vue, mais la compréhension des personnalités dans leur vie professionnelle, ce qui les motive, ce qui occulte leurs points faibles et ce qui les fait se dépasser .
Nous avons constaté qu'avec des formations et des C.V. professionnels comparables, pour occuper un poste donné,
c'est finalement la personnalité qui peut faire la différence, par le degré et la qualité de son
investissement. Ce qui nous a amené à mettre l'accent sur la recherche spécifique des motivations et compensations éventuelles dans les écritures, et d'en vérifier la plupart du temps la concordance avec les scripteurs.
De formation universitaire, nous nous sommes appuyée autant que possible sur les concepts de base de la psychologie, de la psychanalyse et de la psychologie sociale d'une part, et sur les connaissances actuelles de la graphologie d'autre part, en citant les travaux des auteurs concernés, pour que l'on puisse s'y reporter.
La motivation est un des maître mots de notre époque, qui englobe les
notions de besoins, tendances, attirance, aspirations, motifs et
mobiles... Elle doit permettre d'atteindre les buts que l'on se fixe et
donnerait la clef des comportements. Voici quelques définitions qui, nous
le verrons, ont toutes en commun l'idée de l'existence d'une force,
suscitant et orientant le comportement, à la fois source-explication et
finalité-justification.
- la motivation est un "facteur psychologique, conscient ou
non, prédisposant l'individu, animal ou humain, à accomplir certaines
actions ou à tendre vers certains buts." (Piéron, Voc. de la
Psychologie )
- Un besoin ( need ) est une construction ( fiction pratique ou
concept hypothétique ) qui représente une force dans la région du
cerveau, une force qui organise la perception, l'aperception,
l'intellection, l'effort et l'action, de manière à transformer dans une
certaine direction une situation existante, non satisfaisante. ( H.A.
Murray: Exploration de la Personnalité, edit PUF 1953 trad. française )
- le terme tendance " désigne généralement dans la
psychologie classique ce qui sous-tend le comportement motivé...Une
classification traditionnelle énumère, après les tendances organiques,
les tendances interindividuelles, (instinct grégaire, sympathie-contagion,
instinct maternel, sympathie communion, altruisme, imitation ) les
tendances sociales (domestiques et familiales, professionnelles,
patriotiques ) les tendances idéales (sentiment religieux, sentiment
moral, sentiment esthétique, curiosité intellectuelle) les tendances
personnelles enfin (besoin d'indépendance, de domination, égoïsme, etc)....
Murray " envisage sous le nom de besoins ce qu'on appelle plus
généralement tendances. " ( Abrégé de Psychologie, J.Delay et
P.Pichot, edit.Masson 4èm edit. 1975 )
- tendances, besoins, motifs, mobiles: sont pour J.Nuttin (Théorie de la
Motivation PUF 1ère édition 198O) des " traits dynamiques latents
de la personne " , " orientés vers un projet d'action " ,
" vers des catégories d'objets préférentiels ".
En effet un individu n'est pas " motivé " ou pas, malgré
l'usage actuel du mot. Il est motivé
pour ou vers quelque chose: projet ou objets préférentiels
sensés apporter des satisfactions. C'est l'existence de ce but et son
orientation que nous rechercherons dans l'écriture. Sachant que les
recherches de satisfactions sont de nature variée, parfois
contradictoires, et d'ordre différent : biologique, physique, affectif,
spirituel...
Les motivations sont souvent inconscientes et conditionnent pourtant notre
insertion dans la société, dans les groupes, les choix d'amis,
les choix professionnels, les hobbies... Elles conditionnent notre plus ou
moins grande réussite par rapport à nos attentes, notre
épanouissement et
notre bonheur à vivre.
"Aucun de nos comportements ne peut se passer d'une
motivation... La recherche de l'équilibre biologique, la satisfaction, la récompense, ce que l'on peut appeler le plaisir reste toujours la finalité fondamentale de l'organisme, qui l'assure par son action sur l'environnement". (H
Laborit: Les Comportements, Masson 1973). S'il y a perte d'intérêt il y a une démotivation générale, qui peut mener à la maladie ou à la mort. S'il y a insatisfaction face à une situation précise, il peut y avoir une démotivation active, qui peut engendrer une attitude d'opposition qu'il faudra dénouer pour libérer les forces de
façon positive. (voir les chapitres sur le Stress, la Compensation, la Vie Professionnelle ).
Par contre le " manque " au sens large est " l'élément moteur de la vie
psychique; du manque va naître et se développer la vie pulsionnelle ", entraînant le développement et la maturation du sujet. ( Tony Anatrella : Le Sexe Oublié, Flammarion
199O) Nous savons avec Freud que la frustration est nécessaire. " L'objet prend sens pour le sujet dans le manque à être qui est aussi corrélativement manque à avoir " ( Bernard Brusset Psychanalyse du Lien, la Relation d'Objet: édition le Centurion, Paris 1988 p.71) Nous allons voir tout au long de cette étude que les deux sont intimement liés, qu'il y a co-pénétration entre avoir et être, et que ces deux termes et ce qu'ils représentent ne peuvent être opposés comme étant les signes distinctifs et rapides de motivations " matérialistes " ou au contraire " supérieures ".
En psychologie, le terme de compensation est récent lui aussi, car il ne figure pas dans le Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et
Pontalis. S'il a été en pratique introduit par le docteur A.Adler (voir plus loin le chapitre sur la Compensation ) il est maintenant passé dans le langage courant :
- avec son sens financier remontant au seizième siècle et qui existe toujours: compensation d'une dette, qui comporte l'idée d'ajustement.
- ou celui de corriger, réparer, racheter, neutraliser (Petit Robert), autrement dit équilibrer un effet par un autre.
Deux images concrètes s'imposent pour illustrer ces sens :
- la balance, qui oscille jusqu'à trouver le point d'équilibre entre les deux plateaux, jamais immobiles ni définitivement stables par définition.
- l'œil : qui se dilate ou se ferme en fonction de l'intensité de l'éclairage, de la rapidité des changements lumineux etc...
Donc aménagement toujours à recommencer, compromis, recherche d'ouverture, force nécessitée par ce besoin ressenti de ré-équilibrage. " Mécanisme de résolution de certaines situations de frustration réalisées surtout par des obstacles passifs
internes... la compensation peut concerner une infériorité physique ou mentale, réelle ou supposée ". ( Pichot 112).
Le point commun à la Motivation et la Compensation est le déclenchement d'une force. Est-elle suffisante pour entraîner le sujet jusqu'à l'obtention du but recherché? Est-elle excessive ? Comment s'illustre la dialectique permanente qui s'établit entre l'individu et ce qui lui est extérieur, entre le moi intime et le monde environnant, entre le moi social et ses interlocuteurs ?
Plus naturelle peut-être dans la motivation, cette force est propulsive, mobilisatrice; elle est liée à la résistance du sujet, à son histoire, à la cohérence entre besoins et circonstances, c'est à dire à la possibilité de trouver à les satisfaire. Dans le mécanisme compensatoire, il y a davantage de forçage, pour
rétablir les insuffisances ou les manques, qu'ils soient réels ou vécus comme
tels. Il s'agit de consoler le Moi, de lui fournir d'autres voies de satisfaction, ou de réparation.
La subjectivité, nous le verrons, est un facteur important dans le déclenchement de la force (voir
: Subjectivité; Mécanisme Motivationnel dans la Vie Professionnelle; la Tension ). " La subjectivité est ce qui concerne le sujet en tant qu'être conscient...et qui repose sur l'affectivité du sujet " (Petit Robert) Comme le dit en effet
Nuttin: c'est " toujours une question de
relation entre un sujet qui désire, éventuellement de façon latente , et
un objet qui attire ou éveille l'intérêt latent. " (Nuttin) Dans un objet qui attire , ou une démarche qui stimule, ce n'est pas forcément le
côté exceptionnel ou le degré quantitatif qui comptent particulièrement, mais l'importance que le sujet lui attribue, pour lui, et à un moment donné, pour des raisons qui lui sont propres et qui peuvent sembler dérisoires ou même incompréhensibles à d'autres.
Les motivations d'un même sujet évoluent donc forcément avec le temps, en fonction de l'apparition de nouveaux critères personnels ou d'exigences sociales; les réaménagements suivent les enrichissements atteints et suscitent de nouvelles attentes; elles sont génératrices d'évolution.
Les courants culturels jouent aussi un rôle en proposant des modèles, valorisés par la communauté; ces modèles identificatoires s'inscrivent dans la tradition ou renversent pour un temps les valeurs existantes ; ils sont en tous cas les nouveaux héros de la mythologie ambiante. Savoir s'ils en sont dignes ou non est une autre histoire; mais on ne peut ignorer que l'on parle de "
gagnants " ou de " loosers
". On ne peut ignorer non plus que la vie des femmes a changé et qu'elles sont devenues des chefs de famille comme les hommes, sans qu'il y ait de revendication particulière; mais par le fait même qu'il leur faut souvent travailler, et parfois assurer seule l'ordinaire et l'éducation des enfants. Il semble naturel et logique que les conditions de vie environnementales et personnelles influent sur l'écriture.
" Tout mouvement nous découvre " disait déjà Montaigne. Nous verrons que l'écriture enregistre ( par son appui, son mouvement, ses freins,) ces forces-stimulation et ces forces-retenue ou rétraction, les émotions, volontés, hésitations, les passions du scripteur, sa force vers ou contre ce qu'il ressent ou désire. Puis l'écriture les transpose sur le papier par le truchement de sa main scriptrice et de son instrument graphique,
projection du Moi en action et démarche expressive de celui-ci.
Pour le graphologue qui recherche l'origine et la nature des motivations exprimées et qui veut tenter de les quantifier et de les qualifier, il est bien évident que le niveau graphique du scripteur et son degré d'organisation doivent être suffisants pour que l'automatisme du geste soit lui-même suffisamment intégré et maîtrisé pour garder à l'écriture sa valeur expressive.
Les conditions de vie avons nous dit influent sur le comportement et donc sur l'écriture. Avant de commencer notre étude nous avons besoin de savoir si elle émane d'un scripteur masculin ou féminin, car si les mêmes conditions engendrent les mêmes effets, nous serions tentés de dire que les écritures des deux sexes ont de plus en plus de points communs, qu'elles illustrent les luttes de " survie " nécessaires dans notre époque compétitive ( Laborit ). Elles enregistrent aussi l'anxiété ambiante et en tous cas peuvent déconcerter par leur manque d'harmonie au sens Jaminien . Et pourtant nous constatons que les parcours de ces scripteurs aux écritures difficiles, heurtées, certes sont inégaux par définition, mais sont parfois des réussites exceptionnelles.
Le but visé consciemment ou non, leur sert de fil d'Ariane et de coordinateur de leur potentiel.
Dans cet ouvrage, le choix d'une écriture pour illustrer tel point particulier, est forcément imparfait; car comme l'être humain est une synthèse de multiples forces, atouts, craintes
etc... chaque écriture comporte bien des voies d'accès pour l'analyser; sans que la synthèse soit d'ailleurs définitive puisque les évolutions de désirs comme leur réalisation apporteront à chaque fois leur marque... Les spécimens sélectionnés comporteront donc davantage une ou des dominantes en rapport avec le point traité, sans exclure d'autres déductions possibles bien évidemment. Et précisons une fois pour toutes: qu'une espèce graphique et un syndrome de signes sont à situer dans le milieu graphique global, et ne doivent jamais être interprétés seuls.
Nous avons dit que les motivations sont liées à l'histoire du
sujet, et celle-ci commence avec son donné tempéramental. Nous savons que cet aspect est parfois considéré comme démodé; or n'est-il pas vrai que si la médecine a beaucoup évolué, certains vieux remèdes sont toujours bons. De la même façon, nous avons pensé pouvoir garder la vision synthétique et enrichissante apportée quand des éléments ressortent de façon significative.
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